Il faut prendre nos distances de l’exemple américain en matière de liberté académique



26 février 2025
C’est avec inquiétude que nous avons appris que la ministre de l’Enseignement supérieur était à nouveau intervenue pour censurer la liberté académique, cette fois en s’en prenant à des contenus de cours de français au cégep traitant de la littérature de la Palestine. Il y a quelques mois, elle avait bloqué la nomination de la chercheuse Denise Helly comme membre du conseil d’administration de son établissement universitaire, un blocage sans précédent.
Dans l’affaire Lieutenant-Duval, le gouvernement du Québec avait jugé que les malaises des étudiants ne justifiaient pas de s’attaquer à la liberté académique de l’enseignante, et il avait rapidement fait adopter la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire (loi 32). Aujourd’hui, la ministre Pascale Déry soutient paradoxalement que les questions liées à la Palestine créent trop de malaises pour être abordées en classe. Pourtant, il n’existe pas de droit à ne pas être « heurté » en classe par des sujets sensibles, et les enseignantes et les enseignants font majoritairement preuve d’éthique dans l’application responsable de leur liberté académique. La Palestine ne peut constituer une « exception » à cette liberté.
L’intervention de la ministre est d’autant plus étonnante que le gouvernement de la CAQ a fait adopter le nouveau programme Culture et citoyenneté québécoise, au primaire et au secondaire, afin de « préparer à l’exercice de la citoyenneté québécoise » par la « reconnaissance de soi et de l’autre » et « la poursuite du bien commun ». Le programme, qui repose explicitement sur la sociologie et la philosophie éthique, vise à étudier des réalités culturelles et à réfléchir sur des questions éthiques dans l’objectif de construire l’autonomie intellectuelle des élèves, leur esprit critique et leur capacité à analyser des données et à dialoguer de manière argumentée et constructive. Les thèmes au second cycle du secondaire sont, entre autres, la justice et le droit, les différentes visions du monde, les groupes sociaux et les rapports de pouvoir. Cela concerne forcément des questions sensibles qui sont, partout et tous les jours, discutées dans les médias. Le conflit à Gaza, comme celui en Ukraine, en fait partie, et l’école — encore plus le cégep et l’université — a pour mission de comprendre et d’analyser des enjeux de société dans un cadre d’apprentissage serein, comme cela semble être le cas dans les deux cégeps ciblés par l’enquête de la ministre, tels que l’ont affirmé ces établissements dans les médias.
Comme l’a souligné la Fédération des cégeps, l’intervention arbitraire de la ministre Déry est à la fois une atteinte à la liberté académique des enseignants du collégial, protégée par leur convention collective, et une atteinte aux pouvoirs de gestion des cégeps. Cette intervention entre donc en contradiction non seulement avec la volonté affirmée du gouvernement de protéger cette liberté et les institutions du savoir, mais aussi avec ses objectifs de développer la citoyenneté et la pensée critique des jeunes, qui sont aussi centraux au cégep qu’au secondaire.
Plusieurs menaces planent aujourd’hui sur la science et les « institutions du savoir », dont font partie l’école, le cégep, l’université, mais aussi les médias. Ces institutions, composantes essentielles des démocraties, jouent un rôle fondamental dans le développement et l’accès aux savoirs, à l’information et à la science, permettant de garantir un ensemble de droits, dont : la liberté académique, le droit à l’éducation, la liberté d’expression, mais aussi le droit à une information juste. Or, l’ingérence des gouvernements, les pressions idéologiques et autoritaires, la désinformation, la propagande sont parmi les grandes menaces actuelles qui mettent à mal ces droits et libertés. Aux États-Unis, les conseils scolaires américains sont devenus de véritables terrains de lutte idéologique quant aux contenus curriculaires jugés « problématiques » et quant à la liberté d’enseignement. Le CRT Forward Project de l’Université de la Californie a recensé 861 résolutions, projets de lois, législations et réglementations déposées ou adoptées par des conseils scolaires, des municipalités, des États ou des instances fédérales, qui visent à limiter les discussions sur les questions raciales dans les écoles ou à interdire des livres et des formations sur l’EDI (équité, diversité, inclusion). Ces décisions ne peuvent servir de modèle à suivre pour le Québec. Nous invitons la ministre de l’Enseignement supérieur à plutôt protéger les acquis en matière de liberté asadémique aux niveaux collégial et universitaire.
Pour lire l’article sur Le Devoir et consulter la liste des 289 signataires : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/847639/idees-il-faut-prendre-distances-exemple-americain-matiere-liberte-pedagogique?